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Territoires fragiles -Comment passer d’habitants à acteurs de son quartier ?

Comment passer d’habitants à acteurs de son quartier ?

Comment est-il possible, en tant qu’habitants, de s’approprier sa ville, notamment au sein des quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV) ? Deux initiatives expérimentées témoignent de leur histoire à travers deux ouvrages récents. L’occasion de les mettre en lumière, et de décrypter les enjeux auxquels elles font face.
 

Deux initiatives d’ESS pour le droit à la ville mises en lumière

En 1968, le philosophe et sociologue Henri Lefebvre publie un livre qui fera date : Le Droit à la ville. Cette critique de la ville capitaliste adresse la production urbaine comme déconnectée des attentes et vécus de celles et ceux qui y habitent. Il appelle de ses vœux la reconnaissance d’un « droit à la ville », c’est-à-dire le droit de ses habitants et habitantes à participer activement à cette production économique. Cinquante ans plus tard, la revendication de ce droit est plus actuelle que jamais. Mais elle peut aujourd’hui s’appuyer sur des initiatives qui ont fait leur preuve. Coup de projecteur sur deux expériences inscrites dans la durée et qui témoignent de leur histoire à travers deux ouvrages récents. 

Ce sont dans des quartiers particulièrement délaissés, quartiers dit « sensibles », qu’ont pris naissance ces deux initiatives. 

La première, à Vaulx-en-Velin, émerge dans les années 1990 dans une banlieue lyonnaise qui vient d’être durement éprouvée par de violentes émeutes très médiatisées. C’est là que naîtra, en 1992, Cannelle et Piment, une association portée par des femmes immigrées du quartier, devenue aujourd’hui un traiteur multi-culturel réputé sur la place lyonnaise, demeurant au cœur de son quartier et toujours porté par le groupe de femmes cuisinières. 

À une centaine de kilomètres de là, c’est dans le quartier de Fontbarlettes à Valence, que la Scop ardéchoise Ardelaine, fabricant de vêtements et de literie en laine de pays, dont plusieurs membres habitent sur place, installe au milieu des années 1980 son atelier de tricotage. Pour ces deux initiatives, travailler sur place est une autre manière d’habiter le quartier.

L’économie sociale et solidaire, vecteur de lien

Parce qu’on y crée une activité économique, l’espace urbain n’est plus réduit au rôle de cité dortoir. Il devient un lieu d’activité et de production. Plutôt que de fuir les zones à la mauvaise réputation, ces deux démarches font le choix de les investir totalement, leur rôle dépassant largement leur production économique. 

Autour des salariées d’Ardelaine, se développe une vie sociale et associative qui donnera des aménagements de cours et d’espaces verts, des jardins partagés (sur 2 hectares aujourd’hui, au pied des immeubles) et même une production de conserves alimentaires made in Fontbarlettes ! Ces développements n’ont pu se faire que par la mobilisation progressive des habitants et habitantes du quartier qui se sont appropriés des espaces qui deviendront, de fait, plus sûrs, plus conviviaux et plus propres. 

De même, en installant sa cuisine dans des locaux en pied d’immeuble, Cannelle et Piment contribue à pacifier son quartier et à assurer une présence rassurante de mères et d’enfants dans le quartier. La cuisine devient un lieu de convivialité. Des « Café-Cannelle » sont organisés afin de favoriser les rencontres avec d’autres femmes du quartier. Une association est née de cette démarche : Cannelle Solidarité. Il s’agit, pour reprendre la formule imagée de Luc Fontaine, un des habitants-militants du quartier de Fontbarlettes, « d’inoculer un virus positif (…) pour retisser le lien social ». 

Les relations avec les institutions : entre conflits et complicités

Ces « belles histoires » ne se font pas sans heurts pour autant. Ces différentes initiatives sont en effet souvent confrontées à l’incompréhension des institutions

À Vaulx-en-Velin, l’autonomie de ces femmes entrepreneuses n’est pas toujours facilement admise par les travailleurs sociaux ; la Direction de l’emploi regarde cette démarche d’émancipation à travers le prisme de l’insertion, ce qui l’empêche de comprendre toutes ses dimensions. De même, à Valence, les habitantes qui agissent en tant que telles avec leurs voisins et voisines sont parfois perçues comme des concurrentes par les assistants sociaux, qui eux, n’habitent pas sur place.

Comme le note le sociologue Jean-Louis Laville, entre ces initiatives citoyennes et l’action publique, il y a trop d’occasions gâchées. « Pas assez solides, pas assez crédibles pour les officiels plus prompts à déceler les manques qu’à identifier les atouts », ces expériences doivent parfois batailler ferme pour se faire reconnaître. Heureusement elles trouvent aussi, dans l’institution, des oreilles attentives et des complicités qui parfois leur permettent de faire quelques pas en avant ! 

C’est entre ces deux démarches, d’alliance et de défiance, qu’elles ont su la plupart du temps tracer leur chemin.

Tracer son chemin jusqu’au processus de reconnaissance

Pour ces deux initiatives, la reconnaissance est au rendez-vous. Les jardins de Valence se voient récompenser par un prix de l’innovation sociale en 2012. Les femmes de Cannelle et Piment le sont quant à elles par un prix de l’économie solidaire au féminin, en 2002, et par le Trophée de la « diversité en action » d’un quotidien régional en 2011. 

Ces reconnaissances institutionnelles ne sont finalement pas grand-chose à côté de la reconnaissance qu’elles ont acquise par elles-mêmes, à travers un processus d’émancipation qui passe par la parole, l’action et l’analyse des situations subies ou choisies. Il n’est pas surprenant que dans les deux cas, les principales actrices se revendiquent de la pensée du pédagogue brésilien Paulo Freire et des pratiques de l’éducation populaire

Cette reconnaissance est entièrement partagée avec le quartier dont ces initiatives se veulent en quelque sorte les porte-paroles ou les ambassadrices, en contribuant à lui donner une autre image, plus réelle et moins fantasmée. Leur démarche vise à sortir des clichés et des impasses. 

Car, comme le dit Chimène Sérusier, la Chilienne qui a impulsé la création de Cannelle et Piment : « Finalement, hormis les femmes et leurs enfants, qui a intérêt à ce qu’elles soient émancipées et que les rapports sociaux soient transformés ? ». Cannelle et Piment à Vaulx-en-Velin et l’association Le Mat à Valence prouvent que la réponse passe par la prise en charge directe par les habitants de leur avenir et de leur environnement.

En savoir plus :

Source : AVISE

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