Notre histoire, un parcours participatif et citoyen de 35 années
La création de l’association Le Mat Drôme commence par l’installation dans un quartier populaire et urbain de Valence d’un groupe d’acteurs alternatifs déjà investis en milieu rural au travers de projets de développement local (chantiers de jeunes au Viel Audon – Le Mat Ardèche, création d’une filière laine en Centre Ardèche – SCOP Ardelaine).
Entre 1986 et 1988, après une implication dans des actions de proximité sur l’habitat au travers d’un collectif de locataires, ils fondent l’association Le Mat Drôme dans le quartier de Fontbarlettes à Valence pour mobiliser au-delà de la cage d’escalier tout en s’appuyant sur les liens d’interconnaissance, de voisinage, d’entraide, à l’instar des dynamiques de solidarités villageoises. Ainsi, l’idée est de pouvoir favoriser la participation des habitants et leur engagement direct, à l’échelle de leur périmètre d’appartenance, dans l’amélioration d’un environnement urbain et d’un climat social en dégradation permanente du fait de l’anomie et du fatalisme généralisés.
Les résidents du quartier, usagers du parc HLM et des copropriétés des Hauts de Valence, peuvent devenir eux-mêmes des habitants par choix et donc la principale ressource d’un projet de transformation du mécanisme de relégation et d’abandon.
Consciemment installés dans le quartier pour y travailler et y habiter, les acteurs historiques de l’association se placent donc en pairs, voisins, salariés, producteurs, témoins, déclencheurs, aidants, relais d’initiatives, boîte à outils et de méthodes apprises ailleurs, franchisseurs d’obstacle (car ils n’ont jamais appris à intégrer l’échec et les assignations qui colonisent insidieusement les quartiers), amplificateurs de paroles, interface avec les institutions (car ils peuvent être mieux écoutés en maniant plus facilement les codes de langage).
Jusqu’à la fin des années 90, les acteurs de l’association vont explorer les méandres et les impasses de cet enchevêtrement urbain et inhumain, aller à la rencontre et à l’écoute des habitants et de leurs propres solutions pour résoudre les problèmes d’une cage d’escalier, d’un porche, d’une cour, d’un bâtiment…
D’abord en butte à des institutions peu habituées au dialogue, ils vont initier différents projets qui s’imposeront avec une recette complexe et lumineuse à la fois :
- Une participation active des femmes et des enfants dont la voix était souvent étouffée et la parole inaudible ;
- Les hommes ne sont pas exclus mais ils ne parlent pas à la place de tout le monde, ce qui permet d’élargir la vision des problèmes et les besoins exprimés ;
- Les personnes concernées sont les premiers acteurs du changement, même s’il est parfois besoin de révélateur ou stimulateur (rôle qui a été fréquemment endossé par les membres de l’association) ;
- La question est portée sur la place publique ou devant l’institution quand un nombre représentatif d’habitants est conscientisé et partie prenante de l’action proposée ou de la solution envisagée et de la parole exprimée ;
« Il n’est ni question de faire à la place ni de porter seuls une parole d’expert désincarné ou d’interprète d’habitants empêchés de se réaliser en tant que citoyens à part entière »
- Les habitants engagés et responsabilisés sont les garants de la durabilité des changements positifs apportés dans leur environnement d’habitat et de vie sociale
A titre d’exemple, voici quelques actions réalisées :
- Chantiers participatifs d’appropriation et de résidentialisation (embellissement, rénovation de cages d’escaliers, aménagement de pieds d’immeubles, végétalisation de l’espace public, création d’aire de jeux, fermeture protectrice de cours d’immeuble, etc…)
Et une multitude d’actions sociales innovantes ont pu être menées grâce à la mobilisation d’un réseau de militants de l’éducation populaire et de relais courageux et ouverts au sein des institutions refermées sur elles-mêmes :
- Création et animation d’un Réseau Réciproque d’Échanges de Savoirs avec des habitants du centre-ville et du quartier…
- Participation à une expérimentation de médiation judiciaire de proximité avec un groupe de conciliateurs chargés de résoudre les conflits de voisinage avec la saisine du Procureur de la République ou du bailleur social. Une expérimentation qui a mené certains membres de l’association à devenir un temps Délégué du Procureur à titre bénévole et à intervenir en binôme directement sur le lieu de vie des habitants en conflit. Le but étant d’aider les personnes à trouver une solution au conflit et à éviter que la situation « aille en justice ».
- L’invention d’une méthode de Stimulation sociale qui consiste à intégrer au cœur d’une situation à problème un ou des éléments extérieurs qui vont servir de miroir aux habitants pour leur révéler le caractère inacceptable et anormal de comportements perturbateurs pour leur environnement et leur vie quotidienne. L’idée est parallèlement d’initier des gestes de résistance, de reconquête de la dignité… jusqu’à ce que ce virus positif renforce finalement l’immunité du milieu et sa faculté de combattre pacifiquement mais résolument le problème en gagnant la masse critique de personnes au sein d’un espace afin de renverser la tendance.
- Mobilisation de collectifs d’habitants pour réfléchir et construire des propositions en matière d’aménagement urbain et de mixité sociale, soit en s’auto-saisissant d’un problème, soit dans le cadre d’une consultation à laquelle l’association est conviée (programme de rénovation urbaine, projets de résidentialisation, aménagements de jardins partagés, mixité dans l’habitat social…).
L’idée de créer un jardin partagé au milieu du quartier émerge à la fin des années 90 à la suite de l’opération « le Jardin des enfants qui rêvent » avec la décoration et la mise en culture de légumes, fleurs et aromatiques dans une soixantaine de bacs en béton sur une Dalle-parking avec les enfants riverains du Bâtiment Koala.
Ce sera le début d’un lien continu entre aménagement de l’espace urbain, appropriation par les habitants et végétalisation avec une vocation paysagère et nourricière. Les enfants veillent jalousement sur leurs bacs et les familles s’impliquent aux côtés des enfants pour l’entretien d’un micro espace d’environ un tiers de mètre carré.
Ensuite, en se connectant au mouvement national des jardins partagés qui commence à se développer à la même époque en France, et en découvrant à New-York, avec les Greens Guerillas, le potentiel d’émancipation des habitants et de restructuration des liens sociaux et du paysage urbain, il devient évident pour les membres de l’association qu’il n’est plus suffisant de rester cloîtré sur une dalle parking et qu’il est légitime de réclamer de la terre pour semer des graines d’espoir, en lieu et place du béton et du bitume, et d’espaces inutiles ou dévoyés.
Des années 2000 à aujourd’hui : Du Minéral au Végétal – vers un territoire humanisé et nourricier
Après un premier projet porté avec énergie et persévérance, l’Oasis Rigaud a enfin pu ouvrir ses portes en 2003 aux habitants-pionniers. 22 parcelles sur 3.600 m² avec un espace pour les scolaires et un lieu convivial pour les jardiniers et les animations de l’association.
Ensuite et fur et à mesure à partir de 2010, la création de nouveaux jardins a pu rebondir et se démultiplier en intégrant le Programme de Rénovation Urbaine. En effet, transformer de tels espaces, propres à la culture, nécessite des moyens importants lorsqu’il faut prélever béton et bitume, décaisser, ramener de la terre, structurer l’espace et les abords, implanter des cabanes et des cheminements, créer un système de distribution de l’eau…Dès lors, l’occupation des espaces a été conventionnée (gestion, animation, entretien) avec les différentes institutions concernées et propriétaires du foncier (Mairie, Office Public de l’Habitat). Petit à petit, une mécanique vertueuse s’est mise en place, et habitants et institutions œuvrent dorénavant de concert pour le bien commun, les uns en construisant leur participation à l’aménagement et à l’animation du quartier, les autres en garantissant pérennité et bienveillance envers les actions des premiers, seuls véritables usagers de l’espace urbain.
Quand on réalise le chemin parcouru au niveau de la toile verte tissée avec l’archipel des jardins partagés (une centaine de parcelles répartie en 6 lieux différents sur un total 2,5 hectares dans le quartier des Hauts de Valence), on comprend ce que cela sous-entend en termes d’agir sur l’urbanisme et d’intentionnalité de restructuration de l’espace. Cela montre aussi que quand une utopie citoyenne rencontre la volonté populaire localement, la démarche de terrain à une chance de s’imposer à l’institution publique contre l’arbitraire de la « maquette » idéale de l’architecte-urbaniste qui prétend régler la vie de milliers d’habitants d’un trait de plume, d’une vue de l’esprit.
Vers l’habitant ressource d’une cité-jardin
Notre dynamique se construit par la recherche constante de situations permettant aux habitants concernés de se responsabiliser par rapport à leur environnement, en s’instituant comme des citoyens qui peuvent agir sur le territoire, s’entraider et chercher ensemble des solutions de coopération pour construire des projets structurants, respectueux et durables pour le quartier.
Les habitants-jardiniers incarnent cet investissement humanisé, par la mobilisation collective pour occuper et valoriser une parcelle quelconque du territoire urbain, et ensuite par l’appropriation positive par chacun de leur parcelle individuelle de jardin, comme une extension de leur intérieur projetée dans l’espace public. Ils disposent donc d’un lopin de terre, en plein milieu d’un espace d’habitat social – urbanisé et dense, mais à l’abri de la rue, pour jardiner et développer un pouvoir d’autosubsistance en produisant des ressources alimentaires de qualité (la charte de l’association interdit l’utilisation de produits phytosanitaires et d’engrais chimiques et le jardinier référent propose des méthodes de culture naturelle et nous fournissons à prix coûtant des graines, des plants, de la paille et du compost de qualité bio).